DOCTEUR Boumédiène KEBIR

Dr KebirDocteur Kébir.

2013 -1913 : le Docteur KEBIR aurait eu 100 ans cette année, mais il était déjà parti en 1980, trop tôt pour les siens, trop tôt pour mener sa vie au terme qu'il lui souhaitait, vaincu par la maladie, qu'il avait pourtant fait profession de combattre toute sa vie!

Mais cette date représente un anniversaire et, comme telle, elle a le mérite de permettre l'évocation: évocation d'une personnalité qui s'est inscrite dans une époque de la vie de Mascara, et dont nous souhaitions perpétuer le souvenir; c'est ainsi que le vœu exprimé par ses enfants a rencontré le plein assentiment de notre association et, au-delà, de tous les Mascaréens qui conservent un souvenir vivace du Docteur Kébir.

Le Docteur KEBIR Boumédiène -«Attbib Belkebir, pour les Mascaréens -, est né dans le proche village d'El Kalaa, où son père, feu Si M'hamed Kébir ben Djebbar, avait été affecté en tant qu'auxiliaire de santé publique; appartenant par ailleurs, par sa mère, à la lignée de Sidi Mohamed Boudjellal, il s'est enraciné très tôt dans le terroir de Ghriss et des Beni Chougrane, avec lequel il a entretenu toute sa vie une relation quasi charnelle.

Après une scolarité -école primaire laïque et « djamaâ »-à Palikao (Tighennif), où ses parents étaient désormais installés, il a poursuivi ses études secondaires au Collège de Slane, à Tlemcen, à l'époque lieu d'élection de la formation des élites de l'ouest algérien; brillant élève aussi bien en sciences et mathématiques que dans les « humanités» ¬grammaire et littérature françaises, latin, histoire et géographie -, il n'avait pour autant pas négligé l'étude de l'arabe, dont il a obtenu le «Brevet supérieur », diplôme à peu près équivalent, à l'époque, au baccalauréat. Déjà se manifestait la polyvalence de son intelligence et de ses inclinations, qui traduisaient un tempérament porté aussi bien à la rigueur scientifique qu'à l'analyse historique et à la dissertation littéraire ou philosophique...Une photographie de la classe d'« Hypokhâgne » (première lettres supérieure) du Lycée Bugeaud d'Alger, datant de 1931 ou 1932, montre, au milieu d'autres élèves, dont Albert Camus, un étudiant apparemment effacé, mais au regard franc et pénétrant, Kébir Boumédiène ; son aventure littéraire n'aura cependant pas de lendemain, car les étudiants algériens «< français musulmans») n'étaient pas encore, ou pas tous, éligibles aux bancs de l'Ecole Normale Supérieure » ...

Retrouvant alors, peut-être, l'atmosphère dans laquelle il avait baigné depuis son enfance, et le souvenir des campagnes de vaccination (variole, typhus....) dans lesquelles son père s'était illustré, Kébir Boumédiène se tourne vers la médecine et entame des études à l'Université d'Alger: mais là encore, il y a un «numerus clausus» impitoyable envers les Algériens, et l'examen final du tronc commun P.C.B (Physique-chimie¬biologie) se solde par un échec; dans cette épreuve, Boumediène a

cependant la chance de rencontrer un professeur que nous qualifierions aujourd'hui de « progressiste », et qui lui recommande, s'il veut faire sa médecine, de quitter Alger et sa faculté fermée aux Algériens, et de s'inscrire dans une faculté en France. C'est ainsi que nous le retrouvons sur une photographie d'une promotion de la faculté de médecine de Bordeaux où il aura la chance, malgré la guerre, de mener ses études à leur terme, les clôturant par une thèse de doctorat sur « Les troubles trophiques de la syringomyélie» (1941).

Kebir Boumédiène s'installe alors comme médecin généraliste à Mascara, au n? 11 de la rue du Caire (actuellement rue Nouari Hammou), et s'installe, ce faisant, dans une communion des plus heureuses avec la ville de ses ancêtres; peut-être cette communion est-elle encore approfondie par la mort précoce (1942) de sa mère, dont la tombe, au cimetière Sidi Senouci, de Tighennif, ne sera jamais oubliée ni de lui, ni de sa famille jusqu'à ce jour.

C'est le début d'une période heureuse, pourrait-on dire, où le docteur, évoluant en compagnie d'un seul confrère « arabe »-le Docteur Bensafir -au milieu de nombre de médecins français et juifs, affirme ses compétences, notamment dans la pédiatrie, dont il devient rapidement un spécialiste reconnu et recherché, non seulement à IYlascara et ses environs, mais aussi dans tout le département d'Oran de l'époque; sa clientèle est constituée non seulement d'Algériens, le plus souvent de condition modeste, mais également de pieds-noirs, qui le consultent souvent à l'insu de leurs coreligionnaires et de leurs médecins !.... Une femme française, commerçante à Oran dans les années 70, présentait son fils, un beau jeune homme de 20 ans, comme un mort-né que le docteur avait « ressuscité» ....

Les Mascaréens d'alors gardent le souvenir d'un homme de taille moyenne, toujours sanglé dans une longue blouse blanche immaculée, et dont les cheveux blancs lisses et ondulants étaient toujours couverts de l'indispensable calot blanc du corps médical; ils revoient cet homme affable, prévenant, qui parlait leur langue avec l'intonation de leur terroir, et qui écoutait ses patients avec une ... patience infinie, au point qu'une consultation durait souvent une demi-heure ou plus; ils évoquent tous ce médecin qui avait le don du diagnostic précis, qui avait la capacité de « capter» le mal (<< ielqaf eddor »), et de prescrire alors le traitement le plus efficace; ils revoient un médecin qui, à l'instar de certains de ses confrères, ne reculait pas devant des interventions plus poussées, des actes de petite chirurgie rendus nécessaires par l'urgence et par la condition modeste, sinon misérable, de beaucoup de ses patients, pour lesquels l'accès aux cliniques privées et même aux hôpitaux était impossible; ils se rappellent ce médecin qui, une fois sa journée terminée en son cabinet, consacrait encore une ou deux longues heures aux visites aux domiciles des personnes empêchées, jusque dans les douars les plus reculés ;enfin, ils ne savaient souvent pas que ce médecin ne prenait de vacances en été que s'il avait pu trouver le remplaçant idoine, qui prendrait soin de ses patients et les traiterait comme il l'aurait fait lui¬même.

Plus tard, avec le déclenchement de la Révolution, c'est naturellement le Docteur Kébir qui fut sollicité pour soigner l'un des premiers blessés de la région, puis de plus en plus de «Fida'yine» blessés au cours d'opérations; c'est alors que les mailles du filet des services français commencèrent à se resserrer autour de lui; de façon générale, les médecins algériens étaient de plus en plus étroitement surveillés, et tout le monde a en mémoire le sort qui avait été réservé, entre autres, au Docteur Benzardjeb, de Tlemcen; sur les conseils d'amis alqériens. le Docteur se résolut à «disparaître », pour quelque temps pensait-il, et prit un avion pour Oujda, le 22 Novembre 1956 ; lorsqu'il voulut revenir de ses « vacances forcées », ses amis et ses proches l'en dissuadèrent, car sa vie était menacée.

Commença alors une nouvelle vie, dans l'exil, qu'il eut cependant la chance de partager avec nombre d'Algériens (au sein de l'Amicale des Algériens, par exemple, avec Si Benyakhlef), et avec ses confrères médecins dans la même situation.

Au-delà de leur statut professionnel -praticiens d'officine ou praticiens hospitaliers, travaillant principalement à l'Hôpital IVlaurice Lousteau d'Oujda -, tous ces médecins apportaient leur contribution à la Révolution en exerçant notamment en tant que médecins de l'ALN, ou en tant que médecins auxiliaires assujettis à un service minimum auprès de l'ALN : le Docteur Kébir côtoya ainsi, tant à la Base Ben M'hidi (<< la BBM », base de l'ALN à Oujda), que dans les missions à la frontière, les Docteurs Allouache, Haddam(Abdessalam), Klouche (Tedjini), Lazreg, Nekkache, Soufi, pour ne citer que ceux-là (ceux qui auraient été omis voudront bien nous en excuser, et se faire connaître le cas échéant, car cette énumération ressort des souvenirs de ses enfants, âgés de 15 et 17 ans en 1962...).

Le retour en Algérie fut enthousiaste, et le Docteur Kébir s'empressa de revenir à Mascara, en Octobre 1963, après une courte expérience à Alger, qui fut mal vécue ;cependant, la santé fragile du Docteur entraîna plusieurs hospitalisations de longue durée, en France: le médecin fut ainsi absent de sa ville, loin de sa famille et de ses patients, une première fois en 1965-66, puis une nouvelle fois en 1973 ;même alors, il fut sollicité pour exercer dans les hôpitaux où il avait été traité, ou pour s'installer dans le privé, mais il déclina ces offres et préféra retourner dans sa terre natale...Et continua d'exercer comme il l'avait fait auparavant, avec le même amour, la même patience et la même rigueur, jusqu'à ce qu'un nouvel assaut de la maladie l'emportât, en Novembre 1980, à l'âge de 67 ans...

Son enterrement à Sidi Senouci, non loin de la tombe de ses père et mère, en présence d'une foule nombreuse fut, pour nous, un témoignage inoubliable de l'attachement que lui portaient les gens de Mascara et de sa région ainsi que tous ceux, patients, parents, amis, simples connaissances ou anonymes, qui gardaient de cet homme le souvenir de sa sollicitude, de sa bonté et de sa probité morale.

Jusqu'aujourd'hui, ses enfants reçoivent avec une immense émotion les témoignages de personnes qui évoquent non seulement sa connaissance intime de son art et la sûreté de ses diagnostics, mais surtout la disponibilité permanente et l'écoute attentive qu'il apportait à ses patients, en un mot l'humanité dont étaient imprégnées ses relations avec eux et qui, au-delà de son métier, était un caractère distinctif de sa personnalité.

Voilà, en quelques mots, quelle a été la vie du Docteur Kébir, une vie certes sans action d'éclat, mais une vie simple et marquée par l'humilité de l'action quotidienne, patiente et continuellement répétée, contre les forces de la maladie et pour le triomphe de la vie ;et une action