A.KHELIL-Aux origines de l'exode rural...

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Aux origines de l'exode rural : le milieu montagnard en question !

par Abdelkader Khelil *

En Algérie, la petite paysannerie dépossédée par la colonisation, s'est trouvée face à l'obligation d'exploiter les terres déclives de montagne à faible fertilité pour assurer sa survie et marquer sa présence sur un territoire qui symbolise sa fermeté d'opposition aux invasions étrangères. 

C'est de la sorte qu'elle manifesta courageusement son refus d'aliénation au système colonial des grandes exploitations qui forgèrent le paysage des plaines et plateaux investis par les colons, après les avoir chassé. 

Oui ! C'est durant la période d'occupation française, qu'est apparu le clivage entre l'espace traditionnel et l'espace colonial, ce qui a eu pour effet, la perturbation du premier par le second. La dépossession foncière est intervenue après 1871, quand les républicains français décidèrent de passer de la colonisation d'encadrement à celle du peuplement. Les modalités furent alors diverses : colonisation officielle à destination des familles d'origine européenne, aidées matériellement et financièrement, grande colonisation capitaliste et colonisation privée par francisation de la terre, en vertu de la loi Warnier de 1873. 

C'est dire, que la colonisation rurale fût le fruit d'une domination politique et de l'imposition d'une législation favorable à la spoliation des terres des algériens. En 1895, l'enquête de Peyerimhoff estimait qu'à la faveur de l'application de cette loi, les musulmans avaient perdu la jouissance de plus de (5) Millions d'hectares depuis la conquête coloniale. Ils perdirent encore, la propriété et partiellement la jouissance de (2,5) Millions d'hectares jusqu'en 1920. 

Ruinés, déportés mais jamais soumis ! 

Que la génération d'aujourd'hui sache que dans leur opposition à l'expropriation de leurs terres, ils étaient des milliers de paysans algériens à être condamnés pour des actes de rébellion réprimés par le code de l'indigénat, ou pour leurs insurrections successives, n'a rien de banal. C'est bien au contraire, un fait de notre histoire contemporaine, qui met en valeur le continuum de lutte sans discontinuité de tout un peuple. Les plus célèbres sont les déportés qui ont mené et participé aux insurrections de 1870 et 1871 de Souk-Ahras qui se sont propagées à Bordj-Bou-Arreridj, pour finir par la révolte des Mokrani. 

Ces vaillants résistants et bien d'autres, ont fait partie de ces contingents que la France avait exilés vers des pays lointains. C'est ainsi, que des chefs de la résistance et des représentants de tribus furent expatriés et déplacés de force vers la Nouvelle-Calédonie, Cayenne et la Guyane, dans l'espoir de briser la résistance nationale face à l'oppression. Pour information, le livre intitulé " Caledoun, histoire des arabes et berbères de Nouvelle-Calédonie ", remis par la Secrétaire d'Etat chargée de la citoyenneté et de la culture de Nouvelle-Calédonie, Mme DIOUI GORODI à son homologue algérien, Mr SALHI, établit une liste de 2016 algériens déportés. 

Que de nos jours, leurs petits enfants fassent le voyage de 22.000 Kms chaque fois que possible, pour se ressourcer dans cette Algérie mythique que leur ont chanté leurs parents de père en fils, est un geste autrement que symbolique. 

Il est sans doute, la meilleure expression de ce qu'il convient d'appeler : la lutte contre l'acculturation ! Quelle belle leçon de patriotisme et d'humilité que celle qui nous est donnée par ces descendants d'expatriés, dépossédés de leurs terres, ruinés, déportés, mais jamais soumis. 

C'est là un geste qui forge le respect et l'admiration à l'égard de ces dignes fils de résistants, d'autant plus que l'amour à distance qu'ils portent à la terre de leurs aïeux cette Algérie éternelle, n'est fait que de si peu de choses ! Il n'est que cristallisation autour de faits anecdotiques et de bribes de mémoire ! À des gens comme nous, qui profitons des largesses de l'Etat providence, cette attention venue de cet ailleurs si lointain, devrait suffire en tant que source d'inspiration, en ces moments difficiles que traverse notre pays, qui de surcroît n'a pas encore fini de panser ses plaies et ses blessures. 

Oui ! Cet élan du cœur, digne et désintéressé, a certainement le mérite de trancher avec la cupidité de ceux, qui chez nous aujourd'hui, sans honte bue, sont près à mettre en péril la nation pour des considérations autres, que celles ayant trait à l'intérêt général de tout un peuple ! C'est pourquoi dans une société qui tend à perdre ses valeurs morales, cet attachement immatériel qui nous parvient d'outre-mer, vaut bien son pesant d'or. Il semble dire, que l'Algérie ce pays merveilleux, ne laisse jamais indifférent ceux qui savent décrypter la mémoire de son histoire pour en tirer des enseignements utiles pour leur vie de tous les jours ! Oui ! 

En cette période faite d'incertitude pour notre État-Nation, une halte sur cet exemple majeur valait bien le détour ! 

Ce n'est là, qu'une parenthèse d'ouverte et de sitôt fermée sur ce geste qui nous invite au questionnement sur nous mêmes, dans un monde cruel où toutes les valeurs sûres sont remises en question ! 

Le milieu montagnard : un foyer d'exode rural ! 

La montagne est communément définie comme étant un ensemble qui regroupe toutes les terres au-dessus de 12% de pente, soit 43% de l'ensemble tellien. Les zones de montagne couvrent une superficie de 7.565.000 d'hectares, dont la répartition est donnée comme suit : 

Les zones de montagne concernent pratiquement l'ensemble des Wilayas du Nord : 

Guelma, Skikda, Jijel, Bédjaia, Tizi-Ouzou, Ain-Defla, Tissemsilt et Relizane, avec plus de 66% de leurs territoires en zones de montagne ; 

Tarf, Mila, Bordj-Bou-Arréridj, Bouira, Médéa, Blida, Tipaza, Chlef, Mascara, Tlemcen, avec plus de 50% de leurs territoires en zones de montagne. 

Les principaux massifs montagneux sont d'Ouest en Est : les Traras, les Monts de Tlemcen, de Sebaa-chioukh, de Tessala et de Béni-Chougrane, le Dahra, l'Ouarsenis, le Zaccar, le Titteri, les Bibans, le Djurdjura, les Monts de Sétif, de Constantine, de Babor-Eddough et de Médjerda. Selon l'utilisation actuelle des terres, on peut distinguer quatre types de zones de montagne : zones à dominante forestière (31%), zones à dominante agricole (13%), zones à dominante agro-sylvo-pastotale (52%) et zones à dominante pastorale (4%). 

Les 505 communes des espaces montagneux de l'ensemble tellien, regroupent une population de plus de 7.9 Millions d'habitants, soit près de 27% de la population totale de l'ensemble national en 1999. Par région, la répartition est donnée comme suit : 

" Région Ouest (Traras, Monts de Tlemcen, Sebaa-Chioukh, Tessala, Béni-Chougrane et Dahra) 1.476.000 habitants, soit 19% de la population totale des zones de montagne ; 

" Région Centre (Ouarsenis, Zaccar, Titteri, Bibans, Djurdjura) 3.154.500 habitants, soit 40% de la population totale des zones de montagne ; 

" Région Est (Monts de Sétif, de Constantine, Babor-Eddough et Médjerda) 3.278.900 habitants. 

Ces massifs montagneux restent dominés d'Ouest en Est, par une population rurale, dans la mesure où la population urbaine n'est représentée que dans des proportions de : 47% dans la région Ouest ; de 37% dans la région centre et 45% dans la région Est. Le lecteur se doit d'être cependant averti, que les chiffres auxquels il est fait recours dans cet article, sont ceux de l'année 1999 puisés dans mon ouvrage : " la société montagnarde en question ", publié par l'ANEP dans son édition de l'année 2000. Si l'actualisation n'a pas été possible, c'est qu'il n'existe pas aujourd'hui d'approche statistique coordonnée et cohérente sur les espaces de montagne, mais pas seulement. Il y a certes une géographie des zones de montagne, mais notre outil statistique ne dispose d'aucune donnée identifiée autour de l'idée de montagne. N'est-ce pas malheureux que de constater, qu'il y a là une régression inadmissible ! Oui ! C'est à ce moment qu'on mesure l'ampleur de la catastrophe née de la dissolution de l'organe central de la planification et les dégâts causés à notre pays par des esprits néolibéraux qui ont " déboussolé " notre économie en l'enfonçant dans l'opacité la plus totale de la navigation à vue, à défaut d'études générales, de travaux sectoriels et de prospective. Il en est de même de la connaissance sur la société qui par manque d'audit social permanent, n'est perçue que de façon intuitive à travers l'expression des élus locaux et des citoyens, où le subjectivisme des uns et des autres prêche par défaut de comparaison. Si l'on est aujourd'hui obligé de procéder par approximation, en tenant compte d'une part de l'accroissement démographique et d'autre part, du phénomène d'exode qui s'est accentué durant la décennie noire et jusqu'au milieu des années 2000, on doit considérer que l'on serait aujourd'hui aux alentours de 8 Millions d'habitants, c'est à dire autour d'un ratio de 0.1 hectare par habitant, soit de moitié celui des régions de plaines et de plateaux. Si l'on considère par ailleurs que les terres de montagne sont nettement moins fertiles que celles jadis accaparées par les colons (érigées en domaines autogérés et fermes pilotes dans un premier temps, puis en EAI, EAC par la suite), cela justifie amplement l'état de précarité de vie de leurs populations et leur volonté permanente d'exode vers les villes, où elles sont venues chercher une forme de bien être qu'elles ont si longtemps attendu et surtout, un complément de revenu. 

Comment en serait-il autrement lorsque la société montagnarde ne dispose tout au plus que de 300.000 hectares de céréaliculture ne produisant dans le meilleur des cas, qu'un peu plus de 1,5 Million de quintaux, à raison d'un rendement moyen de 5 quintaux à l'hectare ? Tels des loups traqués et poussés dans leur dernier retranchement, les paysans algériens se sont accrochés à leurs arpents de terres peu fertiles qu'ils exploitent de façon minière, en dépit de tout bon sens ! Mais avaient-ils le choix de faire autrement, pour assurer leur survie ? Alors, faisant un simple calcul, juste pour mesurer la nature de leur galère au quotidien ! S'ils doivent réserver au moins le tiers de leur production à l'alimentation de leur bétail, ils ne leur restent par conséquent, que près de 1.000.000 quintaux pour leur alimentation, soit une moyenne de 125 Kg de céréales brutes par habitat et par an, d'où leur dépendance vis à vis des régions de plaines et des plateaux, elles mêmes dépendantes de l'extérieur. Oui ! C'est cela la vrai " hogra " qui prend dans ce cas précis, la signification de la spoliation des terres, au nom de l'action coloniale civilisatrice ! Mais comment en sommes-nous arrivés à cette situation d'un espace montagneux en dérive qui peine à contenir sa population et à la nourrir ? 

La crise écologique : un fait colonial 

Dans l'aménagement des massifs montagneux, l'attitude conservatrice qui donne la primauté à la protection du milieu s'oppose de fait à celle de sa mise en valeur, au profit de l'agriculture et du pastoralisme. En fait, ce conflit d'intérêt s'inscrit dans le prolongement de la philosophie développée par les initiateurs du projet de défense et de restauration des sols initiés en 1942 par l'école française des forêts. Ce projet conçu comme étant une mesure de conservation des sols de montagne, avait pour objectif essentiel : la protection des grands ouvrages hydrauliques menacés par l'envasement résultant de l'érosion des bassins versants et par conséquent, la protection des terres agricoles coloniales des zones de plaines. Les banquettes de défense et de restauration des sols (D.R.S.) mises au point par Monjauze et inspirées des méthodes américaines, devaient concerner un programme de traitement des terres affectées par l'érosion de près de 5 Millions d'hectares. En dix ans, c'est à dire de 1946 à 1956, seuls 180.000 hectares furent traités, soit à peine 9% de l'objectif initial. 

Bien qu'impressionnante au plan des efforts d'investissements et des moyens en bulldozers mis en œuvre pour l'exécution de ces grands travaux, cette opération a eu un impact négatif au plan socio-économique, dans la mesure où les banquettes n'ont pas été entretenues par les agriculteurs. 

Ces derniers les ont même parfois démolies, dès lors qu'elles apparaissaient comme une gêne intolérable pour l'exploitation agro-pastorale. C'est donc à l'ombre de la nuit coloniale, que la société montagnarde a eu à pratiquer à l'araire, une agriculture de subsistance dans la dignité, faite de trime et de sueur, reflet du caractère de la personnalité algérienne d'antan ancrée dans les us et coutumes des terroirs. 

Il est vrai que la pratique agro-pastorale de nature vivrière a eu malheureusement pour impact négatif, des formes d'exploitation peu adaptées à la fragilité des milieux, dont la conséquence est souvent, une rupture d'équilibre et l'accentuation du phénomène d'érosion des terres, d'où l'envasement des barrages, à l'image de celui de Fergoug, à l'aval des monts de Béni-Chougrane dans la Wilaya de Mascara. À noter aussi, la faible protection de la ville de Ghazaouet contre les inondations à l'aval des Monts des Traras dans la Wilaya de Tlemcen, et de la ville de Sidi-Bel-Abbès à l'aval du Tessala. 

Mais c'est rétablir une vérité historique que de dire aujourd'hui, que la petite paysannerie algérienne chassée de ses terres de plaines et de plateaux, n'est en aucune manière responsable de cette crise écologique, dont l'Algérie indépendante a hérité et dont elle continue à payer le lourd tribu en investissements, pour la protection des bassins versants par le reboisement et les travaux de correction torrentielle, ainsi que par le dévasement des ouvrages hydrauliques. C'est là une dette qui s'ajoute à celle des populations nomades en milieu steppique fortement marqué par la désertification, des enfumages du Dahra, où le 18 juin 1845, le colonel PELISSIER n'hésita pas à asphyxier plus de 1000 personnes, hommes, femmes et enfants, des Ouled RIAH, qui s'étaient réfugiées dans la grotte de Ghar-el-Frachih dans le Dahra, auxquelles s'ajoutent bien sûre, celle plus récente, des populations victimes de l'irradiation générée par les essais nucléaires de Regane. Ce n'est pas tout malheureusement, puisque bien d'autres crimes coloniaux sont à inscrire au nom de l'action " civilisatrice " de la France coloniale, à propos de laquelle, dès 1869 Victor Hugo change totalement de ton en nous disant, que la France : " est d'indigence et de honte meurtrie..." et de poursuivre : " Famine dans Oran, famine dans Alger, voilà ce que nous fait cette France superbe ! ". Sollicité à se présenter aux législatives de 1872, pour être député à Alger, fût une idée qui ne l'enchantait guère. Cependant, dans le même temps, il avait cette conviction que l'on pouvait changer les choses dans le bon sens, pour le bonheur de tous et surtout pour la grandeur de la France. Voilà pour l'action civilisatrice de ce " grand " pays vue par cette illustre personnage politique et intellectuel, symbole académique marquant du XIXème siècle, et fervent admirateur de l'EMIR Abdelkader a qui il donna la stature de premier guerrier algérien et héros épique. C'est à ce digne fils de l'Algérie de la grandeur et de l'honneur, né à la lisière des Monts de Béni-Chougrane, que ce poète discerna en hommage, son poème célèbre : " lui, l'homme fauve du désert, lui le sultan né sous les palmes, le compagnon des lions roux, le hadji farouche aux yeux calmes, l'Émir pensif, féroce et doux " ! Oui ! Cela nous flatte et nous désespère à la fois, face à la grandeur de ce que fût, l'homme algérien d'antan ! No comment ! Comme on dit souvent, pour faire court ! L'heure est à la méditation et au bilan de conscience! 

La société montagnarde a-t-elle depuis changé ? 

Il est vrai qu'après la parenthèse fermée de la colonisation, le souci environnemental demeure essentiel pour l'Algérie indépendante comptable de la préservation de ses ressources. Nous avons malheureusement oublié nous aussi, que le développement durable a pour corollaire, l'implication de l'homme dans les choix stratégiques qui orientent les programmes et dont l'impact attendu, serait de concilier dans ce cas, la société montagnarde avec son milieu. Force est de constater aujourd'hui, que cette compétence partagée entre les pouvoirs publics et la population montagnarde dans la gestion de l'espace, n'a pas trouvé sa traduction dans les formes de gouvernance qui ont jusque là prévalu et qui sont restées pratiquement identiques en terme d'interdit, à celles de l'école française des eaux et forêts, qui a depuis fait bien des émules. 

Il est vrai que depuis l'indépendance, l'on assiste à un développement des équipements de base (routes, électricité, gaz, écoles, centres de santé et d'adduction d'eau potable...), et à un foisonnement des circonscriptions administratives à la faveur des différents découpages, ce qui a facilité la dissémination des services publics et l'esquisse d'une armature urbaine. Cette ouverture de la montagne au reste du territoire n'a cependant pas favorisé la stabilisation de la population, dans la mesure où elle ne s'est pas accompagnée du développement des activités, hors secteurs agricole et forestier. 

Au plan social, la prédominance des petites exploitations familiales (souvent moins de 2 hectares) et leur morcellement, ne pouvaient en aucune manière contenir la population active de ces zones, attirait par les villes voisines (Annaba, Guelma, Skikda, Constantine, Bédjaia, Alger, Blida, Chlef, Relizane, Mostaganem, Mascara, Ain-Témouchent, Tlemcen...) et leurs industries naissantes. Oui ! Il faut rappeler, que c'est l'option de " l'industrie industrialisante " des années 70, inspirée par la théorie de DE BERNIS, qui a créé ce leurre tout en accentuant l'exode rural et par conséquent, la déprise agraire. Ce phénomène a affecté plus particulièrement la petite et grande Kabylie qui connaissent un mouvement migratoire plus ancien, perceptible dès les années 40. C'est ainsi que dans ces régions, l'on enregistre une régression de l'oléiculture et dans bien des cas, les terres agricoles retournent à la friche et se transforment progressivement en réserves foncières livrées à de nouvelles constructions qui correspondent en fait, au recyclage de la plus-value de l'immigration. 

Dans cette situation, il est difficile de considérer aujourd'hui, que l'hémorragie de l'exode vers les grandes agglomérations urbaines puisse être un jour, jugulée correctement ! Il faut croire que ce phénomène est une vengeance sur le sort, dés lors que cette paysannerie s'est par la suite appropriée dans son exode d'après indépendance, de nouvelles terres à la lisière des villes, mais cette fois-ci, non pas pour les mettre en valeur, mais pour produire de l'habitat précaire, tout en se rapprochant des zones industrielles ! Triste sort devrions-nous dire, que celui de cette terre nourricière ballotée et dépréciée alors que notre sécurité alimentaire reste du domaine de l'aléatoire ! On estime que depuis l'indépendance, plus de 160.000 hectares, c'est à dire plus de 3 fois la superficie de la Mitidja ont été détournés de leur vocation. Cela veut dire qu'on est passé d'un ratio de 0.8 hectare par habitant en 1962, à moins de 0.2 hectare par habitant actuellement. Cette attitude prédatrice interpelle notre conscience collective, dés qu'elle s'est accompagnée par une quasi-littoralisation du pays, en termes d'activités et de peuplement ! Elle est l'un des meilleurs indicateurs d'une nation en danger, parce que menacée par la famine ! 

La société montagnarde a-t-elle depuis changé ? 

Ce qu'il importe de dire, c'est que même si la montagne est certes un milieu difficile (pentes fortes, sols médiocres, isolement), il n'en demeure pas moins qu'elle recèle des ressources plus variées qu'en plaine, de par la complémentarité de ses terroirs et par le fait qu'elle soit moins soumise aux aléas de la sécheresse. 

Elle est donc susceptible de générer de nouveaux espoirs pour sa population, voire même de retour, dés lors que seront développées de nouvelles activités et par conséquent, des possibilités d'emplois, que les villes de ses aires d'influence ne sont plus en mesure de satisfaire. 

Il s'agit en fait, d'entreprendre une authentique économie de montagne, seule à même de garantir tout à la fois, les conditions essentielles de vie et la stabilisation des populations locales. C'est pourquoi, il est suggéré une démarche novatrice dans les interventions des différents partenaires du développement et de l'aménagement des espaces montagneux. Le renouveau dans les modalités de présence et d'action, doit être mis en œuvre en étroite liaison avec les collectivités territoriales et la population. L'objectif est non seulement, de freiner le déclin de ces espaces sensibles, mais aussi, de contribuer à leur développement et à la leur recomposition, à partir de l'émergence d'établissements humains viables, susceptibles d'assurer la stabilisation des populations locales et le desserrement des centres urbains attractifs, qui ont pour la plupart déjà atteint leurs limites de croissance. 

C'est en effet, dans le principe de l'ouverture de la société montagnarde sur la pluriactivité, autrement dit, sur la création de nouvelles richesses, qu'il sera possible de desserrer l'étau sur l'espace fragile et de réconcilier l'homme avec son milieu. Il s'agit donc, d'assurer le nécessaire arbitrage qui a jusque là été éludé entre les différents partenaires de l'espace et qui a eu pour conséquences, des approches différenciées et forcément opposées, entrainant la dégradation des milieux. Accepter aujourd'hui, les formes consensuelles de préservation écologique, c'est admettre qu'il y a un prix à payer pour élargir les sources de revenus des populations locales, qui sans cela, verraient leurs intérêts sacrifiés au bénéfice de la démarche écologique et continueraient à contrevenir à celle-ci. La symbiose qu'il faudra alors établir entre l'homme et son milieu a dans ce cas pour corollaire, la recherche d'un complément d'activités, qu'autorise la valorisation des atouts et potentialités multiples que recèlent les zones de montagne. 

Mais avant tout, la première chose à faire consiste à " casser " l'image négative que véhicule la mémoire collective qui perçoit le domaine forestier, comme celui de l'interdit. Il faut donc, que les riverains puissent identifier la forêt, comme milieu ouvert sur leurs préoccupations de subsistance. L'administration forestière doit à ce titre, ouvrir dans le cadre de la concession agricole, ses tranchées pare feu, pour la réalisation de vignobles et vergers, et ses clairières pour la constitution de prairies naturelles, propices au développement d'un élevage bovin de montagne. C'est cette image positive de la forêt qui est véhiculée partout ailleurs à travers le monde (massifs français, alpages suisses ...). De même, toute la forêt doit être perçue comme espace mellifère, à plantes aromatiques et pharmaceutiques, source d'emplois et de revenus pour les populations locales. De même, l'assainissement des forêts et le ramassage du bois, sont d'autres domaines d'activités à ouvrir à la concession. Cela devrait permettre tout à la fois, d'améliorer les revenus et de réduire les risques d'incendies. A partir de cet élan qualitatif qui démystifie le caractère répressif d'essence coloniale, il sera alors possible d'introduire chez les agriculteurs, des programmes de préservation du milieu et de présenter la forêt, comme un espace convivial, totalement inscrit dans l'esprit d'une action partenariale gagnant-gagnant. Mais tout cela reste insuffisant ! 

Le consensus fragile, traité selon les formes indiquées, doit nécessairement trouver son prolongement dans la création de nouvelles richesses, seules à mêmes de prévenir la ruine écologique des écosystèmes sensibles de montagne. Au titre de la diversification des activités productives génératrices d'emplois, la valorisation des substances utiles est à inscrire au premier plan de cette nouvelle dynamique de développement des zones de montagne. Les innombrables gisements de substances utiles et de matériaux les plus divers, pourraient donner lieu à la création d'un réseau de PMI, dans le traitement de l'argile, du calcaire, de la pierre de taille, des agrégats et de bon nombre d'autres filières. C'est là, une opportunité pour la mobilisation de l'épargne des émigrés originaires de ces régions qui pourraient s'investir au double plan du capital financier et du savoir-faire entrepreneurial acquis outre-mer. Comme il sera également possible d'élargir leurs initiatives à d'autres domaines d'activités, liés à la promotion de l'artisanat et du tourisme vert (réalisation de gîtes de montagne, de motels, de pensions familiales liées aux travaux agricoles saisonniers...). Ceci pour dire, que l'ouverture de la montagne à l'investissement public et privé et au partenariat, est une valeur ajoutée indirecte au monde rural. 

Ce projet demeure également conditionné par des investigations scientifiques sur le milieu montagnard dans ses volets : sociologique et anthropologique, agronomique, forestier, géologique, géographique, écologique, historique et culturel. De même, la petite paysannerie, accusée à tort d'être à l'origine de la destruction du milieu, doit être convenablement encadrée par des réseaux de vulgarisation et des structures de proximité, d'appui et de soutien aux activités agricoles. 

Dans le contexte de reconquête d'un espace en dérive, la réhabilitation du corps des moniteurs agricoles et des coopératives multiservices est une manière de garantir l'accès au progrès technique, à des agriculteurs dépourvus de moyens. C'est là aussi, un autre gisement d'emplois pour des techniciens et des ingénieurs, auquel pourrait s'ajouter celui des offices de mise en valeur qu'il convient de réhabiliter en tant qu'outil indispensable pour la promotion de la mise en valeur des zones de montagne. Quel gâchis que leur dissolution prématurée! La petite paysannerie est en droit de réclamer leur retour ! Cela n'est que justice ! 

* Professeur 

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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