SUR LES TRACES DE L'EMIR ABDELKADER- A.KHELIL

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AbdElKader          SUR LES TRACES DE L’EMIR   ABDELKADER:                                                                                                                                    

     LA GOUVERNANCE TERRITORIALE EN QUESTION !

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Abdelkader KHELIL*

A vous mes amis (es) qui désespérez de voir notre pays gouverné selon les standards des pays dits civilisés, sachez que vous fûtes déjà au milieu du 19ème siècle, cet État-Nation organisé par l’Emir Abdelkader, à partir d’un Gouvernement de (18) Nazaras nommés parmi les érudits, hommes de savoirs et de (8) provinces, assimilables à des gouvernorats ou des régions : Mascara, Tlemcen, Miliana, Médéa (Titteri), Bouira (Bordj Hamza Djurdjura), Sétif (Majana), Laghouat (Sahara occidental) et Biskra (les Zibans).

Chaque province était subdivisée en Aghaliks dirigés par des Aghas. Chaque Aghalik regroupe un certain nombre de tribus avec à la tête de chacune d’elles, un Caïd et avec à la tête de chaque douar ou arch, un cheikh.Le Khalifa, en quelque sorte, celui qu’on peut qualifier dans le jargon d’aujourd’hui, de « Gouverneur » ou de « Wali régional » était assisté par un conseil consultatif local, ce prolongement du conseil central. Pour avoir été ce grand stratège militaire, cet homme d’exception, reconnu de ses ennemis aristocrates, officiers de cette prestigieuse école de Saint-Cyr qui l’ont harcelé et combattu tout au long de ses (18) années de résistance, et ce visionnaire de l’organisation  territoriale, l’Emir tira sa notoriété et son prestige, de sa grande culture.

Mais où en sommes nous, plus d’un siècle et demi plus tard, par rapport à cette prédisposition de bonne gouvernance territoriale ? Force est de constater que les décideurs d’aujourd’hui n’ont pas encore saisi correctement la portée stratégique de cette question majeure, déterminante pour tout le reste des affaires publiques. C’est ainsi, qu’on l’absence d’un aménagement harmonieux et équilibré de l’ensemble de notre territoire, notre développement s’est accompagné par une pression accrue sur les ressources en sols agricoles et en eau, et par une détérioration des paysages naturels, conséquence d’une quasi-littoralisation des activités et du peuplement. Oui ! De toute évidence, nous n’avons pas été à la hauteur de ce « pays-continent » qui nous a été légué par nos braves, au prix d’une longue sédimentation de luttes séculaires ! Géré très souvent avec amateurisme pour le grand malheur de notre progéniture, le territoire n’est plus cet emprunt aux générations futures, mais cette entité géographique, totalement inscrite dans la déprédation de ressources rares, non renouvelables.

Comment en serait-il autrement, lorsque 65% de notre population vit sur à peine 3% du territoire ! Oui ! Il est à craindre que dans un avenir proche, nous soyons pris par des formes de « cannibalisme » et que nous n’arriverons plus à nous supporter, alors que notre pays est (5) fois plus grand que celui de la France, qui nous attire ! N’est-ce pas que les germes de ce scénario catastrophe sont déjà véhiculés par ces cités dortoirs, appelées pompeusement villes nouvelles, et dont Ali Mendjeli à Constantine, ce « laboratoire » de la violence urbaine dans le style des favelas brésiliennes, est la parfaite illustration ?

Si l’on n’a pas su anticiper ce phénomène, c’est que quelque part, nous avons négligé cette revitalisation rurale sur laquelle repose l’équilibre entre villes et campagnes ! Est-ce à dire  que nous soyons à cours d’instruments ! Oh ! Que non ! Après moult tergiversations un Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT) consolidé par des schémas régionaux fût élaboré et conforté par une loi, finalement qu’alibi, comme pour se donner bonne conscience, parce que jamais appliquée dans ses différentes déclinaisons. Il faut croire que la volonté n’a pas été au rendez-vous ! Rien n’y fait ! La routine du cloisonnement sectoriel marqué par le sceau de l’égoïsme à la peau dure, et le tabou de la « région » a encore de beaux jours devant lui ! Il a pour adeptes, ceux qui veulent maintenir le statu quo de la vision jacobine de la centralisation de tous les pouvoirs !

Et pourtant ! Cette entité géographique décentralisée, dans le sens d’un aménagement territorial intelligent, à l’image de celui conçu par l’Émir, n’est qu’une aire de planification ou mieux encore, un espace géoéconomique pertinent de solidarité et de complémentarité, marqué par l’esprit d’émulation. C’est là, une caractéristique des pays productifs, qui ont su donner un sens à  leur esprit d’initiative et à la vertu du travail. C’est cette pratique de gouvernance territoriale qui fait toute la différence entre ceux qui avancent et ceux qui reculent, dans le monde d’aujourd’hui ? Oui ! Il faut le dire en toute foi et sans détour, l’avenir appartient aux grands ensembles et tout au moins pour ce qui nous concerne, à l’espace régional de planification, susceptible de faire naître des agropoles et des technopoles, pour le grand bonheur de notre appareil de production et pour le rayonnement de nos universités. C’est à ce niveau que se fédèrent les forces et que se mutualisent les efforts, et non, au sein des entités wilayas, ces circonscriptions sans identités anthropologiques homogènes.

Mais que faut-il faire pour que cela soit définitivement compris ? Oui ! Il faut croire que le retard considérable, pris même sur l’organisation de l’Émir, ne saurait être comblé de sitôt ! Si nous sommes aujourd’hui dans la situation d’une Nation qui a perdu ses marques et ses repères, et de cet arbre privé de sa sève nourricière, parce que coupé de ses racines, c’est que nous n’avons pas été suffisamment inspiré par rapport à la question du choix des hommes les mieux à mêmes de porter le rêve d’une entité nationale qui puisse s’élever à hauteur de l’immensité de son territoire et du rôle majeur que lui confère sa position géostratégique ! Quel dommage, que l’Algérie qui dispose d’atouts appréciables, ne soit pas, dans sa conjugaison au pays de Mandela, cette locomotive de tout le continent Africain, à défaut de son effacement au Maghreb!

Oui ! Si l’Émir avait déjà compris cette nécessité organisationnelle avant l’heure, c’est qu’il tirait sa légitimité de cette Moubayâa de toute une mosaïque de Tribus honorables qui ont vu en cet homme d’honneur, le guide exemplaire et le fédérateur qui savait écouter et prendre les bonnes décisions consensuelles, après une large consultation. C’est dire que les hommes racés ne sauraient être des dictateurs ! Ce n’est pas un hasard qu’il soit de la sorte respecté de tous, pour avoir été cet érudit qui inspire le respect, que seuls les hommes de grande culture savent imposer à leurs concitoyens, dans une société régie par des règles et des valeurs universelles !

L’homme qu’il faut à la place qu’il faut, était ce slogan creux galvaudé par nos mouhafadas ! Alors, que l’on en juge ! L’Emir apprit les sciences religieuses, la littérature arabe, l’histoire, la philosophie, les mathématiques et l’astronomie. Platon et Aristote, Al-Ghazâli, Ibn-Ruschd et Ibn Khaldoun lui étaient familiers, comme en témoigne ses écrits. Y a- t-il aujourd’hui, de par le monde, un homme ou une femme d’État qui peut se prévaloir d’une telle capacité intellectuelle ? Mais comment pouvait-il être tout à la fois cet homme de lettres, de sciences, de culture, mais aussi, ce guerrier en perpétuel mouvement, trainant derrière lui, une smala de 40.000 hommes ? C’est là de toute évidence, la carrure d’un grand Chef d’État et la caractéristique d’un homme d’exception, cette étoile solitaire qui n’apparait que très rarement et une seule fois, tout au long d’un siècle ! A croire que le « moule » des grands hommes d’autrefois qui marquaient tout à la fois, l’histoire de leurs peuples et de l’humanité tout entière, est cassé à jamais !

Toute sa vie, il étudie, développe sa culture et non, comme ceux d’aujourd’hui, qui ne songent qu’à fructifier leurs avoirs souvent mal acquis, placés à l’étranger ! Yaklou el ghala oui sabou el mala, comme dit  un adage populaire, bien de chez nous ! Quel malheur que cette distanciation historique qui au lieu de forger une Nation forte de ses origines, dans la continuité des efforts de ses serviteurs, la démoralise et la déprécie ! Oui ! Notre Émir à nous, les gens d’honneur à la généalogie authentifiée, qui savent faire la différence entre l’or et le cuivre, était au-dessus des choses bassement matérielles. Il était ce précurseur des droits de l’homme et ce n’est pas rien, au siècle des lumières ! Il avait organisé un congrès réunissant, en 1843, l’ensemble des responsables algériens de l’époque pour élaborer une « charte pour la défense des prisonniers ». Quel bel humanisme, que celui de notre Emir ! Et dire que cette même charte a été reprise par le Comité de la Croix Rouge Internationale créé en 1863, c’est à dire, (20) années plus tard ! Il s’attela en 1860, à l’élaboration d’une loi pour la défense des droits de l’homme, ce qui fît de lui, l’une des plus grandes figures marquantes du 19ème siècle, ce mascaréen d’origine modeste, nourri tout simplement au couscous, comme tous les humbles de chez nous ! Qui aurait pu croire cela ! L’on doit rappeler qu’à cette date, il avait sauvé des milliers de chrétiens de Syrie d’une mort certaine. A ses détracteurs il avait répondu : « je n’ai pas combattu les français en Algérie pour leur religion, mais plutôt pour l’invasion de mon pays ». C’est là une belle leçon faite de sagesse et d’humanisme, en direction des initiateurs des « printemps arabes », ces « va-en-guerre » et de leurs valets, ces roitelets assis en position tailleur, sur des gisements pétroliers et gaziers, en sous-traitants autoproclamés d’États voyous.

N’est-ce pas que c’est à titre posthume qu’aurait du être décerné le prix Nobel des droits de l’homme à notre Emir ? A bien y réfléchir, ce n’est certainement pas ce qui lui aurait fait le plus grand plaisir, lui l’homme d’État au sens moderne du terme dans sa dimension d’authentique démocrate, lui le soufi, le pieu et le sage ! Oui Émir! Ta sérénité et ta clairvoyance nous manquent tant en ce moment de grande inquiétude, nous qui peinons à décrypter les enjeux d’un futur proche, dans la cacophonie ambiante, au sein de laquelle évolue une société déboussolée par l’atmosphère de cette course effrénée pour le pouvoir sans partage, que d’aucuns cherchent à s’accaparer, sans grand mérite et pour l’éternité ! Comment ne saurais-tu pas être notre référence de ressourcement, chaque fois que nous sommes égarés, toi qui es né dans ce hameau de Guetna à la lisière des Monts de Béni-Chougrane, ce haut lieu de résistance, ces montagnes qui ont vu naître cet autre brave parmi les braves de toutes nos régions, ce héros des humbles que fût le sieur Bouziane El Kalai, ce « bandit d’honneur » comme aimait à le décrire, la littérature coloniale ! Alors qu’il est pour nous, ce digne fils de cette Algérie profonde, ce cœur vaillant, cette idole de notre paysannerie jadis opprimée et affamée. Cet oublié de l’histoire, a été  guillotiné à Mohammedia, qui lui doit tout au moins une stèle ! Oui ! Il y a urgence dans la restitution de l’histoire à son peuple. Oui Émir ! Tu as fait en cela des émules et  ton combat n’aura pas été vain, même si ceux d’aujourd’hui peinent à te suivre ! Tu fus aussi, cette source d’admiration pour l’auteur des « misérables », le grand Victor Hugo, ce poète « monument » au 153.837 vers, ce symbole académique du 19ème siècle, qui t’encense dans son poème « l’orientale ». Il semble nous dire à travers toi, que nous sommes un grand peuple résistant, qui comme le roseau, sait plier lorsqu’il est démoralisé à l’extrême, mais ne  casse jamais ! Alors ! Tenons bon, en laissant  place à la poésie qui réchauffe les cœurs meurtris et rehausse le moral ! Le tout puissant saura guider nos pas ! Ayons foi en lui !    

                                                                                                        *Professeur         

                                                               

                                                          

Victor Hugo (1802-1885)                                                        Recueil : Les châtiments (1853)

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Orientale

                      Lorsque Abd-el-Kader dans sa geôle

                      Vit entrer l’homme aux yeux étroits                                                  

                      Que l’histoire appelle ce drôle,

                      Et Trop long - Napoléon trois ;

                                     

                      Qu’il vit venir, de sa croisée,

                      Suivi du troupeau qui le sert,

                      L’homme louche de l’Elysée,

                      Lui, l’homme fauve du désert ;

                                      

                      Lui, le sultan né sous les palmes,

                      Le compagnon des lions roux,

                      Le hadji farouche aux yeux calmes,

                      L’émir pensif, féroce et doux ;

                                                  

                      Lui, sombre et fatal personnage

                      Qui, spectre pâle au blanc burnous,

                      Brandissant, ivre de carnage,

                      Puis tombait dans l’ombre à genoux ;

                                                  

                      Qui, de sa tente ouvrant les toiles,

                      Et priant au bord du chemin,

                      Tranquille, montrait aux étoiles

                      Ses mains teintées de sang humain ;

                      Qui donnait à boire aux épées,

                      Et qui, rêveur mystérieux,

                      Assis sur des têtes coupées,

                      Contemplait la beauté des cieux ;

                    

                      Voyant ce regard fourbe et traître,

                      Ce front bas, de honte obscurci,

                      Lui, le beau soldat, le beau prêtre,

                      Il dit : « Quel est cet homme-ci ? »

                                                     

                      Devant ce vil masque à moustaches,

                      Il hésita ; mais on lui dit :

                      « Regarde, émir, passer les haches !

                      Cet homme, c’est césar bandit.

                                  

                      Ecoute ses plaintes amères

                      Et cette clameur qui grandit.

                      Cet homme est maudit par les mères,

                      Par les femmes il est maudit ;

                                                 

                      Il les fait veuves, il les navre

                      Il prit la France et la tua,

                      Il ronge à présent son cadavre.

                      Alors le hadji salua.

                                                       

                      Mais au fond toutes ses pensées

                      Méprisaient le sanglant gredin

                      Le tigre aux narines froncées

                      Flairait ce loup avec dédain.

                           

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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