A.KHELIL-Quand la gloutonnerie...

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alger futurQUAND LA GLOUTONNERIE S’ÉRIGE EN MODE DE COMPORTEMENT SOCIÉTAL !

                                        

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Abdelkader KHELIL *

Dans une situation d’effritement de l’édifice institutionnel de l’État de droit et en l’absence de lisibilité quant aux perspectives à venir, bon nombre de nos concitoyens finissent par emprunter dans une sorte de repli et de compter sur soi, le chemin de la débrouille, sans se soucier aucunement des dangers qui jalonnent son parcours, en faisant au quotidien, l’apprentissage de l’illégalité et de l’infraction plurielles.

Pour ceux qui savent observer la société sans la snober à partir de leurs tours d’ivoire et à bien y regarder de prés, la tendance est de plus en plus grande chez bon nombre de nos concitoyens pour développer des comportements individualistes se mettant ainsi à inventer pour leur bénéfice exclusif leurs propres règles et standards, en empiétant sur les droits des autres. N’a t-on pas vu des commerçants baliser la chaussée devant leurs magasins par des objets hétéroclites pour empêcher les automobilistes de ranger leurs voitures, sans que cela ne soit décrété par aucun arrêté municipal ? Et à contrario, qui n’a pas observé bien des fois, des voitures garées au-dessus des trottoirs  et/ou à l’entrée de garages publics ou privés ?

Qui n’a pas été outré plus d’une fois, par ces gens munis de gourdins, squatteurs de portions de plages, de terrains vagues érigés en aires de stationnement et bien d’autres biens relevant du domaine public de l’État, pour faire commerce et en tirer profit personnel ? Ce ne sont là, que quelques exemples pour dire, que si la voie de la raison semble oubliée et à céder sa place à celle des muscles et de la force, c’est à dire  à l’incivilité,c’est que quelque part, des intouchables ont fortement indiqué par des agissements illégaux, la voie du non respect de la chose publique, qui a fait école auprès de nos jeunes ! Ce sont eux les vrais responsables de l’état de déliquescence de notre société, qui peut mener au « pourrissement » de tout le corps social, et à la perte des valeurs et repères républicains !

                                            

GLOUTONNERIE DES ARRIVISTES !

Si nous sommes arrivés à la dangerosité  des atteintes quotidiennes aux lois et règlements de la République dans l’impunité la plus totale, c’est quechemin faisant, par la compromission l’impunité et le passe-droit, certains initiés des arcanes du pouvoir en partenaires économiques « gloutons » se sont taillés les plus grosses parts de marchés, accompagnées par l’octroi d’avantages et des facilités. Et tels des « requins », ils finissent par avaler  tous les petits « poissons » sur leur passage, avec la complicité de ceux chargés de la surveillance de la « biomasse », c’est à dire de la régulation de notre économie, et de la préservation de l’intérêt national. Si les puissants du moment montrent le mauvais exemple, n’est-il pas  injuste de ne blâmer uniquement que les petits qui ne font que les suivre dans leur sillage, en becquetant et en picorant des miettes  en cachette et à la sauvette ? Si dans cette situation les structures de l’État procèdent par laxisme face à l’atteinte aux intérêts de la collectivité et de l’ordre public, c’est qu’elles  sont piégées par le comportement de cette « faune » qu’on a laissé évoluer dans l’impunité pour devenir finalement, incontrôlable !

Il n’est un secret pour personne que ces « grands », ont pignon sur rue et sont souvent courtisés. Ils arrivent même à infléchir dans le sens de leurs intérêts égoïstes, les orientations de la politique économique du pays après avoir acheté au plus bas prix, tous les biens et actifs qui leur ont été  bradés ! Il ne faut pas croire qu’il ne s’agit là que d’une expression du « paraître différent » chez une  faune  d’individus arrivistes étalant leurs influences telle une hydre dans sa quête de reconnaissance identitaire parce que sans racines, sans culture, sans éducation et sans savoir-vivre, même si devenus providentiellement et artificiellement riches à l’extrême !

Cette nouvelle manière de montrer ostensiblement sa différence « carnassière » arrogante et provocatrice, trouve plutôt son explication dans l’absence de moralisation de la vie publique et dans les pratiques de certains commis de l’Etat ripoux, qui osent transgresser en toute impunité, les lois et règlements de cette République affaiblie par les coups de boutoir qui lui sont assénés depuis prés de trois décennies, sans que l’on songe sérieusement à rétablir l’ordre des choses. Vu sous cet angle, l’État est bel et bien « orphelin » !

Mais de qui se moque t-on, lorsqu’on parle de mise à niveau, de réformes et de gouvernance ? Rien de tout cela n’est pris au sérieux ! Nous sommes tout simplement dans une logique de solidarité au sein d’une chaine trophique au pur sens biologique du terme, où seules quelques « hyènes » - pas de la famille de cet animal appelé en Tamazight « Ifis » de plus en plus signalé par les forestiers au niveau du « Ravin bleu » à Batna- ont leur mot à dire autour de la distribution du pactole de la rente pétrolière et gazière ! La « fourmi » quant à elle et tout le reste de sa « colonie » de l’infiniment petit, n’arrivent la plupart du temps qu’en bout de chaine pour nettoyer les « os » de la « carcasse », après que les « charognards » et les « rapaces » l’aient dépouillé de toute sa chair nutritive ! Dans cette atmosphère d’une actualité nationale émaillée par des  comportements inquiétants, chacun de nous est interpellé d’une manière ou d’une autre, par rapport à ces attitudes qui menacent la cohésion sociale et au pire, l’unité nationale, ne plaise à Dieu, quand dans un avenir proche, il nous sera de plus en plus difficile de couvrir les tares de notre société par cette rente déjà largement entamée ! Ces comportements sont de nature, à remettre en question les éléments fondateurs de notre État-Nation !

LE RÊVE D’UNE SOCIÉTÉ DE CITOYENS LIBRES

Mais est-il pour autant vrai de dire que tout est perdu et que nous n’avons aucune chance pour se reprendre à rêver à l’émergence d’une société meilleure, proche des intérêts de la collectivité nationale dans son ensemble, et plus conviviale dans ses villes et ses campagnes ? Si certains de nos concitoyens observent une attitude purement défaitiste par rapport à cette question de notre devenir, c’est tout simplement par lassitude et par déception, après avoir attendu vainement ce changement qui tarde  à venir ! Mais en vérité, rien n’est moins sûr si l’on considère que toutes les périodes de transition et de métamorphose portent en elles ces ambivalences. Rien n’est impossible parce que nous ne sommes pas pour autant démunis ! Nous n’avons rien de « manchots » quand les conditions sont réunies, comme le prouvent quotidiennement bon nombre de nos concitoyens, en tant que capitaines d’industrie, de managers, d’universitaires et de chercheurs, d’intellectuels, de médecins et de chirurgiens, de pilotes, d’ingénieurs, de cadres supérieurs dans la fonction publique ou de simples travailleurs au service de leurs concitoyens.Oui ! Le rêve est permis, et la démission et le défaitisme sont les pires choses qui puissent nous arriver.

Si la normalité dans le fonctionnement de la société est rétablie, tout sera alors possible ! Tout est donc affaire de moralisation de la vie publique, de justice, d’équité et de gouvernance. La primauté doit-être donnée  non pas à la préservation des intérêts occultes, mais plutôt à ceux de la collectivité nationale dans toute sa globalité. À partir de là, nous pouvons commencer à espérer. Nos jeunes se doivent alors d’être encadrés et recadrés, d’être soutenus et accompagnés dans leurs projets, d’être mieux formés, ce qui suppose bien évidemment beaucoup plus de sacrifices de la part de leurs ainés, sous la forme d’un compagnonnage, qui ne saurait s’accommoder des mises en retraites prématurées, cette mesure certainement mal inspirée car jetant dans la nature des cadres, ingénieurs, managers et techniciens dont beaucoup possèdent le savoir-faire et l’expertise nécessaires pour faire progresser notre société !

En faisant preuve de courage et en unissant nos efforts, il n’y a pas de raison que nous ne soyons pas capables de bâtir à partir d’un authentique projet de société à court, moyen et surtout à long termes, un État régulateur juste et fort, garant de l’égalité des chances pour tous les citoyens. Cela est possible, à condition d’orienter le sens de l’action publique dans la direction du seul intérêt de la collectivité nationale. Tout doit passer par la moralisation de la vie publique ! L’on se doit aussi, de réinventer le service public à visage humain pour tous, avec cette audace d’entreprendre cette mise à niveau si nécessaire à notre administration et aux autres institutions, conformément aux standards internationaux qui ont fait leur dans beaucoup de pays, car articulés autour des seuls principes régaliens qui se rattachent à l’État de droit.

Dans un pays qui dispose de plus de deux millions d’universitaires, cela est possible d’engager toutes les réformes nécessaires, pour peu que la formation continue puisse devenir une constante, et la seule voie d’accès aux promotions des différents personnels. Tout doit s’obtenir par le seul mérite qui a pour corollaire : l’acquisition d’expérience et de nouvelles compétences, et non par la pression de la rue ou la cooptation mafieuse. Cette mutation profonde de notre société ne peut s’opérer, que si elle s’appuie sur des règles connues et acceptées par tous, sur la force collective dont chacun connait les vertus, et sur l’utilisation optimale de toute la ressource humaine d’ici et d’ailleurs, sans exclusive, sans parti pris, et sans obligation d’allégeance à qui que ce soi !

                             

OUI, L’ÉMERGENCE EST POSSIBLE !

De la sorte libérés, les hommes et les femmes qui portent dans leurs cœurs cette Algérie si généreuse, si magnifique et qui savent en apprécier les atouts économiques, techniques, culturels et sociaux et les attraits de sa beauté, seront disposés à la porter progressivement, à hauteur des pays émergents. Nous avons les moyens pour devenir cette Corée du Sud du Maghreb (cf. mon article paru sur le Quotidien d’Oran du dimanche 10 mars 2013). Il faut juste y croire et travailler dans ce sens, mais pas uniquement dans l’esprit de l’achat « clés en main » de projets, sans effets d’entrainement sur le reste de notre économie. L’émergence est tout un « symbole » ! Il est celui de la maîtrise technologique intelligemment négociée avec ceux qui sont à la pointe du progrès, et l’éclosion d’un tissu de petites unités industrielles de sous-traitance aussi bien dans la filière automobile, que celles de la mécanique, de l’électronique, des médicaments, du machinisme agricole, de la technologie du froid, des TIC, de l’agro-alimentaire etc.

Elle est aussi confiance en soi, en ses cadres et en sa production, surtout celle qui a fait ses preuves sur les marchés internationaux. L’on sera dans l’état d’esprit de l’émergence, le jour où l’on décidera d’équiper tous les logements et autres projets publics avec de la robinetterie type BCR et avec le sanitaire de l’ECO et autres entreprises privées, même s’il faut subventionner le produit national. Le même raisonnement doit être tenu pour d’autres produits de qualité dans tous les autres domaines. Il faut aussi faire en sorte que nos grands projets soient tout d’abord, des « projets école » ! Imaginons un instant que l’on ait eu l’idée de le faire au moment de la réalisation du projet d’autoroute Est-Ouest ! Nous  serions peut-être aujourd’hui en mesure de réaliser, même avec l’assistance étrangère au niveau du suivi, l’autoroute des Hauts-Plateaux par nos propres moyens d’ingénierie. Outre les surcoûts à payer par le trésor public pour les très nombreuses malfaçons enregistrées tout au long des tracés et les résiliations de contrats, cette opportunité a été perdue. Ce projet aurait du être accompagné sur tout son tracé, par : la réalisation d’agropoles, de technopoles, de zones industrielles, forgeant ainsi son attractivité territoriale. Si cela ne s’est pas fait, c’est que nous n’avons pas su travailler dans la convergence et la synergie intersectorielle. C’est dire, que tout est affaire de volonté, de vision, de planification et de prospective. C’est à partir de là, que nous pourrons rétablir la confiance et la quiétude, ces deux conditionnalités essentielles à  la réalisation de tout le reste.

Mais il faut se dire, que rien ne se décrète, tout se construit. L’éducation, la transmission, le savoir ont un rôle crucial à jouer. Mais l’école même reformée dans le sens de la citoyenneté, ne peut cependant pallier à tout. Forger ce citoyen accompli, libre en parole et en pensée pour espérer réaliser des miracles, est l’affaire de tous. Dans cette entreprise à l’échelle d’une nation toute entière, le secret est dans le rassemblement et la mutualisation des efforts, et non dans la division, l’invective, le laxisme et l’autoritarisme. Comme il ne faut jamais perdre de vue notre appartenance à une communauté aussi large que l’étendue de notre « pays-continent », faite de diversités mais aussi et surtout d’unité, cette chose merveilleuse sans laquelle  nous ne serions que des individus vulnérables sans identité ni considération. En quelque sorte, des « kounta-kintés » au service des intérêts des autres, comme cela se passe en Libye, en Irak et en Syrie ! C’est là que réside l’hommage à rendre à ce million et demi de martyrs  qui ont tant espéré vivre et voir se développer cette Algérie indépendante, dans la cohésion et dans l’harmonie. C’est aussi cela, novembre revisité, qui prend la signification de la chose bien faite, et au plus prés de l’intérêt national !

                                                                                         *Professeur